Bibliothèque spéciale, 1951
En 1939, Jean Prouvé crée pour le centre d’aviation populaire du bassin de Briey le principe, très simple, d’un modèle de bibliothèque entièrement métallique : des montants en caissons de tôle munis d’encoches dans lesquelles s’insèrent des rayonnages en simple feuille d’acier pliée1. La guerre interrompt ce projet, qui sera repris et modifié en 1951, à l’occasion de l’étude portant sur l’aménagement d’une librairie-galerie : les montants, maintenus entre sol et plafond par des ressorts, sont percés à intervalles réguliers de trous formant crémaillères pour recevoir des tablettes et des présentoirs en tôle pliée, des barres de cimaise ou des tablettes de consultation en bois2. L’émergence du marché universitaire va constituer l’occasion pour les Ateliers Jean Prouvé de travailler sur un nouveau modèle de rangement, léger et économique, destiné à équiper les cités universitaires3 : en 1954, est créé un « meuble-bibliothèque » suspendu qui combine le principe du bahut standard et celui des étagères créées par Charlotte Perriand, peu de temps auparavant : trois grands « plots » métalliques à crémaillères posés côte à côte réunissent au moyen de tiges filetées les plateaux inférieur et supérieur en bois ; les espaces ménagés dans les intervalles sont équipés de rayonnages également en bois, qui peuvent être partiellement fermés par une porte coulissante en aluminium. Ce modèle est proposé avec plusieurs variantes pour la cité universitaire d’Antony et sera définitivement mis au point pour l’aménagement des 150 chambres de célibataires que les Ateliers Jean Prouvé sont chargés d’équiper4. Réalisé en mai 1955, le prototype présente une structure composée de deux grands plots de largeur inégale en acier laqué de couleurs contrastées, percés de crémaillères permettant de répartir selon les besoins des rayons réversibles en tôle pliée et des bacs en plastique (création Charlotte Perriand). Le plateau inférieur se prolonge pour former une étagère, et la façade avant est dotée d’une porte coulissante en contreplaqué à poignées-raidisseurs en bois massif. Bien que ce modèle ait été proposé pour l’aménagement d’autres cités universitaires comme celle de Lille, fin 1955, la production semble s’être limitée aux 150 exemplaires destinés à celle d’Antony5. En revanche, le principe de la structure en grandes « niches » métalliques à crémaillères est simultanément appliqué à des projets de bibliothèques plus importantes6. Pour sa maison personnelle à Nancy, Jean Prouvé utilise l’espace entre les flancs métalliques verticaux formant l’ossature de la façade arrière pour aménager une enfilade de placards sur 27 mètres linéaires, dont 6 composent la bibliothèque du séjour, grâce à la disposition suivante : entre des plateaux en bois sont superposés des modules en tôle pliée, d’un mètre de large, incisés de crémaillères, le tout étant réuni et rigidifié par des tiges filetées. La partie supérieure est équipée de rayonnages amovibles et réversibles en tôle à bords roulés et de portes coulissantes en verre ; la partie basse, de portes coulissantes en aluminium gaufré munies de poignées-raidisseurs en bois massif. Le mince espace entre les plateaux en bois peut recevoir des tiroirs ou des bacs en plastique.
1. Voir Sulzer, vol. 2, n° 831.
2. Projet non réalisé pour R. Mossovic, la Librairie des arts, à Nancy. Plan n° 13.141, janv. 1951.
3. Notamment pour la nouvelle cité universitaire de Toulouse (études en mai-juin 1954).
4. Le deuxième concours pour l’aménagement des chambres de la cité universitaire d’Antony lancé début 1955 imposait aux équipes d’être composées de créateurs et de fabricants. Les Ateliers Jean Prouvé réunissent de facto les noms de Jean Prouvé et de Charlotte Perriand, et de leurs collaborateurs, André Le Stang et Martha Villiger. Après une première sélection, ils remporteront le marché d’aménagement de 150 chambres de célibataire.
5. La fiche de présentation n° 555.643 du 13.8.1956 pourrait indiquer que les Ateliers de construction préfabriquée de Maxéville (ACPM, nouvelle dénomination des Ateliers Jean Prouvé à partir de janvier 1956) avaient envisagé d’en poursuivre la commercialisation.
6. Il s’agit notamment de projets d’aménagement pour le pavillon du Cambodge, Cité internationale universitaire de Paris (A. Audoul, arch.) et pour la faculté d’Aix-en-Provence (F. Pouillon, arch.).